Sculpture publique en bronze à Lyon.
Patrimoine foudroyé, mutilé, délaissé

Ils étaient là, familiers, ponctuant places et jardins :
le MAJOR MARTIN dignement drapé dans son manteau, enrichi dans les Indes fabuleuses, tenait le testament de son legs magnifique aux lyonnais : la Martinière,
le MARÉCHAL SUCHET arborait le bâton de commandement qui, en 1815, avait sauvé Lyon de l’Autrichien,
le SERGENT BLANDAN, héros malgré lui de la colonisation algérienne, se sacrifiant pour défendre une terre qu’on lui disait française, incarnait la France coloniale en marche,
le CAPITAINE ÉDOUARD THIERS (à ne pas confondre avec son homonyme Adolphe) avait, à Belfort en 1870, sauvé la France de l’envahisseur allemand.
Outre ces nobles effigies de militaires hardis, honneur de leur cité, se dressaient des statues de savants : BOURGELAT, fondateur de l’école vétérinaire de Lyon " berceau de l’enseignement vétérinaire en Europe ", la plume à la main, son traité sous le bras,
AMPÈRE, qui illumina les nuits de l’humanité, assis et méditant, le visage rayonnant de bonté,
BURDAU, savant et politique, symbole de la réussite du fils de pauvre, haranguait à la tribune de la Chambre qu’il présidait : " Aide-toi, la République t’aidera! "
RASPAIL, si actif et universel, ennemi et victime de toutes les oppressions, avait proclamé la République de 1848.
Et, les surclassant par l’ampleur de leur quête, Soulary et Dupont, poètes, une tête de Christ, une mâle figure gauloise, l’un auteur de la chanson J’ai deux grands boeufs dans mon étable, que fredonnent encore les anciens, l’autre des Sonnets humourisiques, tous deux le front resplendissant, accompagnés de leur muse accorte.

Ils ne sont plus là ces hommes admirés dont les images illustraient le grand livre d’histoire qu’est la cité, sauf AMPÈRE réchappé de l’électrolyse finale.*
Ces douze, dont par chance les Archives municipales conservent les photographies prises avant dépose, appartenaient à un groupe de vingt-six oeuvres, anéanties. Ces vingt-six, fleur de la statuaire lyonnaise sous la troisième République, appartenaient aux trois mille peuplant les agglomérations françaises, menacées, refondues ou mutilées.
Le plus grand pogrome dans l’histoire de la statuaire en bronze n’eut lieu ni en Chine, ni à Byzance ni à la Révolution, mais en France en 1941-1944.
" Ah ! les Allemands pour fondre des canons " direz-vous, comme l’affirme une tradition fallacieuse accréditée avec complaisance. Non, en 1942 les canons sont en acier. Et si l’Allemagne nazie fut le Baal de nos bronzes, ce sont les Français, le gouvernement de Vichy, qui édictèrent la loi du 9 octobre 1941, créant le Commissariat à la mobilisation des métaux non ferreux en liaison avec le Groupement d’importation et de récupération des métaux. Les hauts responsables ? L’administration de la Collaboration et, honte parmi les hontes, un historien d’art bien connu, Louis Hautecoeur, qui orchestra le génocide. Qui accepta la basse besogne à Lyon ? La préfecture et la municipalité aux ordres et des entreprises veules : Noël Dumont, Maurice Thévenot, Joanny Thivollet.

Sous couvert de récupérer l’étain et le cuivre, cette destruction planifiée tenta d’éradiquer à jamais les symboles de la République et du génie français en effaçant dans les villes la mémoire des hommes qui font la gloire de notre nation.
Là-bas, à Hambourg après la Libération, on retrouvera des charniers de ces bronzes que Pétain et Laval affirmaient de devoir jamais quitter la France. Mais aucune gueule cassée lyonnaise.

Aujourd’hui, alors que Bordeaux, contre vents et mascarets, a reconstitué le magnifique monument des Girondins, alors que des centaines de cités se sont préoccupées de leur patrimoine mutilé, qu’un demi-siècle après, le 21 octobre 2000, Nogent-sur-Seine a inauguré une nouvelle fonte de l’Amour filial d’Alfred Boucher à Lyon, ville classée au patrimoine international, le même sculpteur attend de revoir Ollier et bien d’autres monuments mutilés espèrent. Celui de Burdeau attend muse et statue ; Dupont et Gailleton s’ennuient de leurs petites chèvres qui amusaient les enfants, Pléney a perdu son génie bienfaiteur... et de certains, on a même perdu mémoire.



* Pour la liste complète de ce patrimoine sculpté refondu ou mutilé voir le Bulletin municipal officiel de Lyon en 2001.