Au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale, l'état de désorganisation
économique des pays européens était tel que,
pour empêcher que n'y triomphât l'idéologie
communiste, les Etats-Unis avaient dû mettre en place un
plan d'aide financière et industrielle aux pays occidentaux.
Le plan Marshall (1947-1949), du nom du ministre américain
des Affaires Etrangères, prévoyait la livraison
de capitaux, de matières premières et de marchandises
sous forme de dons ou de crédits. L'Union Soviétique
ne manqua pas de dénoncer cet "impérialisme
du Dollar". Rappelons que l'année 1949 est celle du
Pacte Atlantique (signé en avril) qui consacre l'alliance
militaire de la France et des Etats-Unis.
La France avait envoyé
aux Etats-Unis le train de la reconnaissance ou "merci train".
A bord, entre autres cadeaux, quarante-neuf robes de mariées
de la haute couture française que l'on destinait à
chacun des états de l'Union. La robe de Lyon fut attribuée
à la ville de Jackson (Missisipi) et remise à une
dame Betty Holder en raison de son dévouement à
la cause de la France en guerre.
La ville de Jackson
voulut en retour faire le présent à la ville de
Lyon d'une robe de mariée typiquement américaine.
L'ensemble robe à traine, voile et couronne de la maison
Kennnington fut adressé à la Mairie de Lyon avec
cette missive, en date du 29 juin 1949 :
"Monsieur le
Maire
[...] Nous aimerions que cette robe soit prétée
à des jeunes filles de Lyon trop peu fortunées pour
acheter une robe de mariage.
Après chaque cérémonie, la municipalité
est priée de la réclamer et garder en réserve
pour la jeune fille suivante [...]" (Cf. Le Progrès
des 4 et 5 juin 1949, article illustré).
Question de négligence,
de dignité ou de goût, la robe de mariée a
été versée aux Archives Municipales, dans
son emballage d'origine, aussi fraiche qu'au premier jour. Il
semble bien qu'elle n'ait pas été portée
après la photo du Progrès. La municipalité
Herriot a-t-elle voulu, par ce moyen, résister à
l'"impérialime du chiffon" ? Serait-ce là
un épisode du combat entre le Lyon de la soie et le "tigre
de nylon" ? La mode américaine ne parût-elle
pas suffisamment New Look aux yeux des Lyonnaises ? Ces questions
retiendront peut-être un jour les historiens.
La présence
d'objets dans les dépôts d'archives est moins exceptionnelle
qu'on le pense d'ordinaire. Certaines séries d'archives,
pour ne pas parler des collections numismatiques ou sigillographiques,
comportent des dossiers où sont annexés des objets
tels que pièces à conviction, biens saisis ou échantillons,
dont quelques uns ne sont pas moins curieux que la mariée
des Archives Municipales. Ainsi, cette oreille de loup aux archives
départementales de l'Isère, l'arme avec laquelle
Casério assassina, à Lyon, le président Carnot
aux archives départementales du Rhône (déposée
au Musée de la Police, à St-Cyr-au-Mont-d'Or), ou
bien ce sachet de graines qui inspira naguère à
Arlette Farges l'amour des archives. En matière de conservation
de ces objets, la doctrine de l'archivistique française
prévoit leur mise à la disposition des musées
dans le cas où ils ne se rattacheraient pas directement
à un quelconque dossier d'archives (cf. Direction des Archives
de France, Le Concept d'archives et les frontières de l'archivistique,
actes de la Septième Conférence de la Table Ronde
Internationale des Archives, Paris, Imprimerie Nationale, 1963).
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