Au plus fort de la
crise de mai 1968, à peine désamorcée par
les accords de Grenelle, le général de Gaulle annonce,
dans l'après du 30 mai, la dissolution de l'Assemblée
Nationale et de nouvelles élections législatives.
Le soir même, une manifestation de soutien au régime
rassemble, à Paris, près d'un million de personnes,
avec à leur tête, Malraux et Debré. La "majorité
silencieuse" s'était enfin exprimée. La campagne
électorale de la Majorité parlementaire mettait
l'accent sur les risques de chaos que faisaient naître les
événements. Le premier tour (23 juin) des élections
montrait une progression très nette de la majorité
gaulliste. Le second tour (30 juin) donne à la Majorité
358 des 485 sièges de la nouvelle Assemblée ; le
parti gaulliste obtenant, à lui seul, la majorité
absolue. Le mot d'ordre des étudiants contestataires devenait
dès-lors : "La lutte continue". C'est le titre
d'un texte rédigé, au début du mois de juillet,
par les élèves de l'école des beaux-arts
de Paris et des artistes extérieurs regroupés, depuis
la mi-mai, au sein de l'Atelier Populaire (cf. Atelier Populaire
présenté par lui-même : 87 affiches de mai-juin
1968, Usines Universités Union, 1968, 95 p., ill). Dans
le même texte on peu lire : "L'Atelier populaire n'est
pas tombé dans le crétinisme parlementaire."
Telles sont les circonstances politiques dans lesquelles fut élaborée
la présente affiche.
A l'instar de l'Ecole
Nationale Supérieure des Beaux-Arts et de l'Ecole des Arts
Décoratifs, à Paris, l'école des beaux-arts
de Lyon et celle de Marseille s'étaient constituées
en Ateliers Populaires qui furent le lieu d'une production d'affiches
de propagande.
La publication de l'Atelier
Populaire parisien, déjà citée, nous renseigne
sur les "conditions de production" qui y prévalaient
ainsi que sur les techniques utilisées. Les principes,
énoncés dès le 16 mai, et diffusés
par tract le 21, ne varieront guère :
"Les étudiants
et artistes progressistes, tout en se mettant concrètement
au service de lutte du peuple, se mettent à son école
et révisent leur point de vue en se liant aux masses ;
ils s'efforcent sans cesse par l'action, la critique et l'autocritique,
d'éliminer les pratiques de la création individualiste
bourgeoise qui resurgissent toujours consciemment ou non.
Comment travaille-t-on ?
Les projets d'affiches faits en commun après une analyse
politique des événements de la journée ou
après des discussions aux portes des usines, sont proposés
démocratiquement en fin de journée en Assemblée
Générale. Voici comment on juge :
- l'idée politique est-elle juste ?
- l'affiche transmet-elle bien cette idée ?
Puis les projets acceptés sont réalisés en
sérigraphie et lithographie, par des équipes qui
se relaient nuit et jour."
Le procédé sérigraphique, d'invention lyonnaise,
permet un tirage très important sans diminution de la qualité.
Avant 1968, il était surtout employé par les artistes
américains de la génération du Pop Art. Le
peintre français Guy de Rougemont, à son retour
des Etats-Unis, le fit connaître aux artistes parisiens.
On estime à 400 000 le nombre d'affiches produites par
l'Atelier Populaire. Elles étaient diffusées dans
toute la France. Entre le 14 mai et le 27 juin, date de l'occupation
par les forces de l'ordre de l'Ecole des Beaux-Arts, on dénombre
plus de 350 compositions différentes. Plusieurs des affiches
portant le cachet de l'école des beaux-arts de Lyon ou
de Marseille, reproduisent des modèles parisiens. Il ne
paraît pas que ce soit le cas pour celle que nous présentons.
Le dogmatisme et la
radicalisation qui gagneront le mouvement gauchiste, après
les Evénements de Mai-Juin, s'est également fait
sentir dans les inventions de l'Agit-Prop. Ainsi, peut-on lire
dans le chapitre "Organisation et fonctionnement" de
l'Atelier Populaire par lui même :
"Notre expérience
nous a révélé : les dangers de l'ambiguïté,
la nécessité de lier les mots d'ordre au graphisme.
La sincérité, la fantaisie et l'imagination ne sont
efficaces que dans la mesure où elles interprètent
et renforcent l'objectif des motes d'ordre."
Ces affiches, au-delà
de leur intérêt strictement historique, témoignent
des préoccupations esthétiques d'une époque
: l'oeuvre sans auteur, l'artiste comme producteur, la recherche
des formes et des matériaux frustes, l'idéologie
matiériste, etc. On notera, ici, le recours au papier kraft
dont la charge symbolique est évidente.
Bibl. - "Mai 68 et les artistes", dossier préparé
par François Bataillon, Beaux-Arts Magazine, n° 57,
mai 1988, pp. [56]-67, ill.
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