"Nous sommes la Majorité"

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Affiche de l'école des beaux-arts de Lyon.

1968.

Sérigraphie sur papier non blanchi dit "Kraft".
H. 0,640 m ; L. 0,602 m.
Timbre humide : atelier populaire ex beaux-arts Lyon.

Archives municipales de Lyon : 1 K 263.

Au plus fort de la crise de mai 1968, à peine désamorcée par les accords de Grenelle, le général de Gaulle annonce, dans l'après du 30 mai, la dissolution de l'Assemblée Nationale et de nouvelles élections législatives. Le soir même, une manifestation de soutien au régime rassemble, à Paris, près d'un million de personnes, avec à leur tête, Malraux et Debré. La "majorité silencieuse" s'était enfin exprimée. La campagne électorale de la Majorité parlementaire mettait l'accent sur les risques de chaos que faisaient naître les événements. Le premier tour (23 juin) des élections montrait une progression très nette de la majorité gaulliste. Le second tour (30 juin) donne à la Majorité 358 des 485 sièges de la nouvelle Assemblée ; le parti gaulliste obtenant, à lui seul, la majorité absolue. Le mot d'ordre des étudiants contestataires devenait dès-lors : "La lutte continue". C'est le titre d'un texte rédigé, au début du mois de juillet, par les élèves de l'école des beaux-arts de Paris et des artistes extérieurs regroupés, depuis la mi-mai, au sein de l'Atelier Populaire (cf. Atelier Populaire présenté par lui-même : 87 affiches de mai-juin 1968, Usines Universités Union, 1968, 95 p., ill). Dans le même texte on peu lire : "L'Atelier populaire n'est pas tombé dans le crétinisme parlementaire." Telles sont les circonstances politiques dans lesquelles fut élaborée la présente affiche.

A l'instar de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts et de l'Ecole des Arts Décoratifs, à Paris, l'école des beaux-arts de Lyon et celle de Marseille s'étaient constituées en Ateliers Populaires qui furent le lieu d'une production d'affiches de propagande.

La publication de l'Atelier Populaire parisien, déjà citée, nous renseigne sur les "conditions de production" qui y prévalaient ainsi que sur les techniques utilisées. Les principes, énoncés dès le 16 mai, et diffusés par tract le 21, ne varieront guère :

"Les étudiants et artistes progressistes, tout en se mettant concrètement au service de lutte du peuple, se mettent à son école et révisent leur point de vue en se liant aux masses ; ils s'efforcent sans cesse par l'action, la critique et l'autocritique, d'éliminer les pratiques de la création individualiste bourgeoise qui resurgissent toujours consciemment ou non.
Comment travaille-t-on ?
Les projets d'affiches faits en commun après une analyse politique des événements de la journée ou après des discussions aux portes des usines, sont proposés démocratiquement en fin de journée en Assemblée Générale. Voici comment on juge :
- l'idée politique est-elle juste ?
- l'affiche transmet-elle bien cette idée ?
Puis les projets acceptés sont réalisés en sérigraphie et lithographie, par des équipes qui se relaient nuit et jour."


Le procédé sérigraphique, d'invention lyonnaise, permet un tirage très important sans diminution de la qualité. Avant 1968, il était surtout employé par les artistes américains de la génération du Pop Art. Le peintre français Guy de Rougemont, à son retour des Etats-Unis, le fit connaître aux artistes parisiens. On estime à 400 000 le nombre d'affiches produites par l'Atelier Populaire. Elles étaient diffusées dans toute la France. Entre le 14 mai et le 27 juin, date de l'occupation par les forces de l'ordre de l'Ecole des Beaux-Arts, on dénombre plus de 350 compositions différentes. Plusieurs des affiches portant le cachet de l'école des beaux-arts de Lyon ou de Marseille, reproduisent des modèles parisiens. Il ne paraît pas que ce soit le cas pour celle que nous présentons.

Le dogmatisme et la radicalisation qui gagneront le mouvement gauchiste, après les Evénements de Mai-Juin, s'est également fait sentir dans les inventions de l'Agit-Prop. Ainsi, peut-on lire dans le chapitre "Organisation et fonctionnement" de l'Atelier Populaire par lui même :

"Notre expérience nous a révélé : les dangers de l'ambiguïté, la nécessité de lier les mots d'ordre au graphisme. La sincérité, la fantaisie et l'imagination ne sont efficaces que dans la mesure où elles interprètent et renforcent l'objectif des motes d'ordre."

Ces affiches, au-delà de leur intérêt strictement historique, témoignent des préoccupations esthétiques d'une époque : l'oeuvre sans auteur, l'artiste comme producteur, la recherche des formes et des matériaux frustes, l'idéologie matiériste, etc. On notera, ici, le recours au papier kraft dont la charge symbolique est évidente.


Bibl. - "Mai 68 et les artistes", dossier préparé par François Bataillon, Beaux-Arts Magazine, n° 57, mai 1988, pp. [56]-67, ill.

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