"C est le iuste poys que doibuent peser les pains dung : de deux : de troys : de cinq : et de dix deniers : selon la valeur du bichet de froment : mesure de lyon."

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1537.

Impression en rouge et noir, bois, sur papier vergé. Caractères gothiques, batards et romains.
H. 0,512 m ; L. 0,350 m bord à bord.
Bois : H. 0,069 m ; L. 0,110 m au trait carré.

Bibl. - Expositions du bimillénaire de Lyon, Aspects de Lyon au XVIe siècle, p. 57, n° 44 (par Alice Joly).

Archives municipales de Lyon : FF (Inv. Chappe, vol. IV, p. 143) Réserve.

 

Le pain, base de l'alimentation au Moyen Age reste très important au 16e siècle et au-delà : on sait le nombre d'insurrections, voire de révolutions qui sont partie de révoltes frumentaires.

Dans un ménage de quatre personnes, Richard Gascon évalue à 6 livres la consommation quotidienne de pain (la livre de Lyon4 valait 419 grammes). Un bichet3 de froment, soit un poids de 34 livres, correspondait donc à la dépense de 6 jours de pain d'une famille. Mais apprécier ce que représentait la dépense par rapport au salaire d'un ouvrier non qualifié est complexe. On aurait de la peine à le faire à partir de cette affiche, car les prix y sont donnés en monnaie de compte alors que les valeurs des salaires dépendent du cours réel quotidien de la monnaie. Il semble qu'on puisse dire que la moitié du salaire d'un compagnon était consacré à l'achat du pain quotidien ! A côté de ce cas favorable (d'une façon tout relative), nombre de Lyonnais restaient au-dessous de ce minimum vital : gagne deniers à la tâche, saisonniers, gens sans emploi, malades et infirmes. La fondation d'institutions charitables d'assistance était une nécessité. De plus,on comprend avec quelle acuité se posait le problème des subsistances pour une ville comme Lyon. La population y était nombreuse, seconde ville de France avec 50 à 60 000 habitants et l'approvisonnement en grains n'était pas commode : on devait faire venir les blés de Bourgogne par la Saône. Les rendements agricoles étaient faibles et les variations annuelles très importantes. Du coup, chaque province et chaque ville s'efforcait de se prémunir contre le spectre de la disette en réfrénant les exportations. les spéculateurs s'en mélaient. Le prix du blé pouvait tripler voire quadrupler en quelques semaines. D'ordinaire le marché était libre et la vente des blés se faisait en divers points et souvent à bord même des bateaux. Mais en cas de crise, le Consulat s'efforcait de contrôler le marché aux grains et de le restreindre à la Grenette ; il surveillait aussi les boulangers leur ordonnant parfois de cuire le pain au-dessous du cours.

Deux crises majeures du 16e siècle lyonnais : la "grande rebeyne" (émotion populaire) de 1529 et la famine de 1531 ont pour origine la disette. Elles entraineront la création de l'Aumône générale. En automne 1528, le bichet passa de 10 sous à 15 et 16 sous; au printemps 1529 il monta à 20 sous. La colère populaire montait ; elle rendait responsables les conseillers les accusant de complicité avec les accapareurs. Un texte signé "le povre" appelait à faire subir aux accapareurs le traitement que "l'en fait au blé avant que lon l'oste de la paille". Ce texte fut placardé et lança trois journées d'émeute, au cri de "Enfans au blé, au blé! au Poix des farines, à la porte de la Lanterne !" En 1531, la famine fut telle que Jean de Vauzelles décrit la foule des affamés "telle multitude de pauvres que vous eussiez dit que c'était le reste d'un naufrage là par la défortune transporté, tant étaient alanguis, macérés, chancelants, comme de faim énivrés et si pâles qu'ils ressemblaient à gens déterrés de leur sépulcre... Jour et nuit vous n'eusiez oüi que "je meurs de faim, je meurs de faim qui était piteuse chose à ouir..."

L'affiche porte la marque de la première compagnie des libraires de Lyon. Elle n'est pas datée mais, d'après les caractères employés, on la rapproche des ouvrages sortis des presses des libraires imprimeurs Melchior et Gaspard Trechsel vers 1537. On y lit que les échevins l'ont faite pour aider les pauvres :

"les conseillers par leur sens magnifique voulans le bien du paouvre populaire, ce patafle1 cy-dessus ont faict faire"

L'aide apportée est en réalité une facilité pour calculer sans peine la quantité décroissante de pain qu'on peut acheter avec la même somme quand le prix du blé monte ! L'affiche montre en effet un tableau de calculs tout faits. Ils font apparaitre quel poids de pain on peut avoir avec la même somme quand le blé enchérit. Du coup, les valeurs de la première colonne, prix du bichet de blé, croissent et les autres colonnes montrent le poids décroissant de pain pour un, deux ou trois deniers. Les deux dernières colonnes sont celles du poids du pain farein2 pour 5 deniers et pour 10 deniers.


1 patafle = affiche.
2 pain farein ou bourgeois = pain blanc.
3 bichet = 34 L 27.
* once = 26 grammes.
4 livre de Lyon = 418 grammes.
* monnaies de compte indiquées sur l'affiche : 1 livre = 20 sous = 16 gros ; 1 sou = 12 deniers = 36 blancs.


Bibl. - Richard Gascon, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle : Lyon et ses marchands, Paris, La Haye, Mouton, 1971, 2 vol.

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