Le pain, base de l'alimentation
au Moyen Age reste très important au 16e siècle
et au-delà : on sait le nombre d'insurrections, voire de
révolutions qui sont partie de révoltes frumentaires.
Dans un ménage
de quatre personnes, Richard Gascon évalue à 6 livres
la consommation quotidienne de pain (la livre de Lyon4
valait 419 grammes). Un bichet3
de froment, soit un poids de 34 livres, correspondait donc à
la dépense de 6 jours de pain d'une famille. Mais apprécier
ce que représentait la dépense par rapport au salaire
d'un ouvrier non qualifié est complexe. On aurait de la
peine à le faire à partir de cette affiche, car
les prix y sont donnés en monnaie de compte alors que les
valeurs des salaires dépendent du cours réel quotidien
de la monnaie. Il semble qu'on puisse dire que la moitié
du salaire d'un compagnon était consacré à
l'achat du pain quotidien ! A côté de ce cas favorable
(d'une façon tout relative), nombre de Lyonnais restaient
au-dessous de ce minimum vital : gagne deniers à la tâche,
saisonniers, gens sans emploi, malades et infirmes. La fondation
d'institutions charitables d'assistance était une nécessité.
De plus,on comprend avec quelle acuité se posait le problème
des subsistances pour une ville comme Lyon. La population y était
nombreuse, seconde ville de France avec 50 à 60 000 habitants
et l'approvisonnement en grains n'était pas commode : on
devait faire venir les blés de Bourgogne par la Saône.
Les rendements agricoles étaient faibles et les variations
annuelles très importantes. Du coup, chaque province et
chaque ville s'efforcait de se prémunir contre le spectre
de la disette en réfrénant les exportations. les
spéculateurs s'en mélaient. Le prix du blé
pouvait tripler voire quadrupler en quelques semaines. D'ordinaire
le marché était libre et la vente des blés
se faisait en divers points et souvent à bord même
des bateaux. Mais en cas de crise, le Consulat s'efforcait de
contrôler le marché aux grains et de le restreindre
à la Grenette ; il surveillait aussi les boulangers leur
ordonnant parfois de cuire le pain au-dessous du cours.
Deux crises majeures
du 16e siècle lyonnais : la "grande rebeyne"
(émotion populaire) de 1529 et la famine de 1531 ont pour
origine la disette. Elles entraineront la création de l'Aumône
générale. En automne 1528, le bichet passa de 10
sous à 15 et 16 sous; au printemps 1529 il monta à
20 sous. La colère populaire montait ; elle rendait responsables
les conseillers les accusant de complicité avec les accapareurs.
Un texte signé "le povre" appelait à faire
subir aux accapareurs le traitement que "l'en fait au blé
avant que lon l'oste de la paille". Ce texte fut placardé
et lança trois journées d'émeute, au cri
de "Enfans au blé, au blé! au Poix des farines,
à la porte de la Lanterne !" En 1531, la famine fut
telle que Jean de Vauzelles décrit la foule des affamés
"telle multitude de pauvres que vous eussiez dit que c'était
le reste d'un naufrage là par la défortune transporté,
tant étaient alanguis, macérés, chancelants,
comme de faim énivrés et si pâles qu'ils ressemblaient
à gens déterrés de leur sépulcre...
Jour et nuit vous n'eusiez oüi que "je meurs de faim,
je meurs de faim qui était piteuse chose à ouir..."
L'affiche porte la
marque de la première compagnie des libraires de Lyon.
Elle n'est pas datée mais, d'après les caractères
employés, on la rapproche des ouvrages sortis des presses
des libraires imprimeurs Melchior et Gaspard Trechsel vers 1537.
On y lit que les échevins l'ont faite pour aider les pauvres
:
"les conseillers
par leur sens magnifique voulans le bien du paouvre populaire,
ce patafle1
cy-dessus ont faict faire"
L'aide apportée
est en réalité une facilité pour calculer
sans peine la quantité décroissante de pain qu'on
peut acheter avec la même somme quand le prix du blé
monte ! L'affiche montre en effet un tableau de calculs tout faits.
Ils font apparaitre quel poids de pain on peut avoir avec la même
somme quand le blé enchérit. Du coup, les valeurs
de la première colonne, prix du bichet de blé, croissent
et les autres colonnes montrent le poids décroissant de
pain pour un, deux ou trois deniers. Les deux dernières
colonnes sont celles du poids du pain farein2
pour 5 deniers et pour 10 deniers.
1
patafle = affiche.
2 pain farein ou bourgeois
= pain blanc.
3 bichet
= 34 L 27.
* once = 26 grammes.
4 livre de
Lyon = 418 grammes.
* monnaies de compte indiquées sur l'affiche : 1 livre =
20 sous = 16 gros ; 1 sou = 12 deniers = 36 blancs.
Bibl. - Richard Gascon, Grand commerce et vie urbaine au XVIe
siècle : Lyon et ses marchands, Paris, La Haye, Mouton,
1971, 2 vol.
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